Portraits de vignerons
Ils font corps avec les éléments, gardent la tête haute face aux aléas, transmettent l’amour du terroir à travers leurs vins. Les vignerons de l’AOC Fitou vous racontent leur attachement à leur métier, vous livrent leurs émotions.
Katie Jones
Rencontre avec Katie Jones, vigneronne au Domaine Jones (Tuchan)
“J’ai plusieurs parcelles de carignan, dont deux qui ont 118 ans ! Leurs racines sont très profondes, ce qui empêche mes vignes de souffrir de la sécheresse. J’aime le carignan quand il y a de très petits rendements, car on arrive à faire des choses vraiment magnifiques. Ce n’est pas un cépage facile, c’est ce que j’aime. C’est un cépage sur l’épice, on met du grenache pour l’assouplir et de la syrah pour la finesse. Il apporte du caractère et de la structure au vin.
Il faut faire attention avec le carignan et prendre le temps en cave ! Pendant les vendanges, j’extraie doucement les tanins, le fruit, sinon on va vite vers un vin très tannique. J’essaie d’avoir des tanins soyeux, on y arrive, mais ça prend du temps. J’ai une cuve par parcelle, et je fais deux délestages par jour pour vider tout doucement les peaux.
Il apporte de la fraîcheur dans l’assemblage, et j’ai tendance à le récolter de plus en plus tôt pour avoir moins d’alcool et garder cette fraîcheur. On travaille beaucoup à la main, car mes vieilles vignes ont été plantées pour faire passer un cheval à l’époque, c’est très étroit, un tracteur ne passe pas. Pour réduire le rendement qui est trop important même sur les vieilles vignes, on éclaircit les souches, on ébourgeonne au printemps.
Pour moi, le terroir, c’est très important. Quand on déguste mon vin Fitou, je veux qu’on retrouve l’identité de mes vignes. Quand je fais une dégustation à l’étgranger, quand j’ouvre une bouteille de Fitou, je me retrouve à Tuchan dans mes parcelles avec le thym, le romarin, le soleil. C’est un cépage qui est adapté à la cuisine de notre terroir.
Les vieilles vignes de carignan font partie du patrimoine et de notre histoire, il faut les préserver.”
Thierry Billès
Rencontre avec Thierry Billès, vigneron au Clos Padulis (Paziols)
« Le carignan est un excellent cépage qui a longtemps été décrié parce qu’il n’était pas implanté sur les bonnes zones de production. En revanche, quand on le plante dans des terres plus exigeantes et qualitatives, bien exposées, on arrive à des qualités exceptionnelles !
J’ai deux parcelles de carignan de 23 et 25 ans. Quand je les ai plantées, en coteaux, j’étais encore en cave coopérative et cela a suscité l’étonnement car ce cépage n’était pas reconnu comme qualitatif. La création de mon domaine en 2013 m’a permis de redonner au carignan la place qu’il mérite, en accord avec notre terroir.
La typicité du carignan s’exprime par des notes de fruits rouges et permet d’obtenir des vins très souples et soyeux. J’ai trois cuvées Fitou : dans la première, Padulis, le carignan est majoritaire et le vin est très gouleyant ; dans la deuxième, Sérénité, la Syrah est majoritaire, mais le carignan est tout de même présent à 35, 40% ; la troisième, L’Âme de Padulis, est issu d’une vinification intégrale en fût où le carignan entre à 50% dans l’assemblage. Pour cette cuvée, l’objectif du passage dans le bois dès la vendange et pour une courte période d’environ 4 mois est d’apporter de la souplesse et de la rondeur et non pas des arômes boisés.
Je n’imagine pas le Fitou sans le carignan. Il y a un vrai lien entre ce cépage et notre terroir qui lui permet de s’exprimer pleinement. Son implantation dans d’autres zones de production du Languedoc-Roussillon ne lui permet pas d’offrir la même typicité qu’ici. »
Marc Castan
Rencontre avec Marc Castan, vigneron au Domaine Mámárutá (La Palme)
« Le carignan est emblématique de l’AOC Fitou, car il est majoritaire dans le cahier des charges, et présent depuis la naissance de l’appellation en 1948.
Il a longtemps été décrié, parce qu’il est très productif sur des zones très riches, alors que sur des coteaux ou des plaines très sèches, il donne de très bons vins.
Il est comme un cheval sauvage, compliqué à dompter dans le travail de la vigne, parce qu’il est sensible à l’oïdium, et en vinification il peut faire des vins rustiques.
À l’époque, on le travaillait beaucoup sur l’extraction, pour faire des macérations très longues, avec beaucoup de tanins, de couleur, de matière, donc ça faisait des vins assez lourds. Aujourd’hui, la nouvelle génération le travaille sur la légèreté, sur des macérations plutôt en grappes entières, ce qui est bien adapté au carignan je trouve. Cela a montré qu’on pouvait faire avec lui des vins de plaisir, parce qu’il a de l’acidité, ce qui apporte de la fraîcheur. Et avec le contexte climatique, les vins frais sont recherchés.
J’ai des parcelles de carignan que mon grand-père a plantées en 1952, et un carignan sur le plateau de Leucate, en fermage, qui date de 1896. Les Anciens choisissaient les bons bois, les plus jolis, ils prenaient le temps, ils avaient un matériel végétal robuste.
Dès que j’ai décidé de partir en cave particulière, je voulais faire des vins propres, donc obligatoirement une agriculture biologique, d’agro-écologie, et après vinifier, faire des vins sans intrant, parce que je veux que ce soient des vins purs qui reflètent leur terroir. »
Nathalie Boyer
Rencontre avec Nathalie Boyer, vigneronne avec son mari Benjamin au “Domaine du vent” (Fitou)
“Mes parents étaient agriculteurs, mais ils n’ont jamais eu de vigne. Les parents de Benjamin non plus. Après la naissance de notre fille Charlotte, j’ai passé un BTS en commerce du vin en Bourgogne où j’ai commencé à travailler. Mon mari a eu une opportunité en Corse où nous sommes allés, puis à Bergerac, dans la Vallée du Rhône en côtes-du-rhône villages, à Châteauneuf-du-Pape, et à l’issu de tout ça, on s’est dit que si l’on voulait quelque chose à nous, c’était maintenant ou jamais. Le terroir Fitou nous a beaucoup plu, et nous avons acheté le domaine en juillet 2022. Les sols argilo-sableux nous permettent de faire les vins qu’on aime, sur le fruit, sur la fraîcheur, tout en finesse.
Le carignan est un cépage très bien adapté au climat Fitou : résistant au vent et à la sécheresse, tardif. Il faut l’apprivoiser, parce qu’il est intéressant à faible rendement, où il peut être sur la fraîcheur, sur le fruit, avec une belle structure mais qui reste sur une belle finesse. D’où l’importance de nos sols et de notre terroir qui privilégient l’expression du carignan dans ce sens-là. Il demande beaucoup d’attention, parce qu’il est sensible à l’oïdium, d’autant que nous sommes en bio, donc on le traite souvent dès qu’on a une fenêtre sans vent.
Le carignan, à faible rendement, a des baies plus petites qui permettent de faire des vinifications à macération carbonique pour avoir plus de fruit et de fraîcheur. On essaye de vinifier les cépages séparément pour pouvoir affiner nos assemblages. Le carignan amène une belle structure au vin, ce côté framboise acidulée qui permet de garder de la fraîcheur et de donner un goût de reviens-y très gourmand.
Notre cuvée Le Marin, à majorité de carignan, peut se boire frais à l’apéritif ; on fait plus de l’infusion que de l’extraction, ce qui donne des tanins ronds, soyeux, et le boire frais permet de ne pas avoir de côté asséchant. »
Christelle Virot
Rencontre avec Christelle Virot, viticultrice, Vignobles Cap Leucate.
“Ici, je suis dans mon élément, car je suis seule dans la nature, je fais comme je veux, quand j’ai envie. C’est agréable de travailler à l’extérieur, avec le beau temps, le soleil, la tramontane. S’il pleut, je n’y vais pas, mais c’est très rare qu’il pleuve ! Les jours de grosse chaleur, on adapte les horaires.
Je crains le vent l’hiver, à cause du froid, et au moment du relevé, parce que les végétaux peuvent casser. Le climat est rude, avec très peu de pluie, les vignes souffrent. On s’adapte. On fait avec ce qu’on a. Pour faire ce métier et suivre les aléas dus à la sécheresse, il faut être vaillant, courageux, minutieux, exigeant, rigoureux.
En chaque agriculteur, il y a une grande force. On se dit qu’on va s’en sortir, que ça va aller mieux, on essaye de garder un moral positif. On est solidaires les uns avec les autres.”
Jérôme Bertrand
Rencontre avec Jérôme Bertrand, vigneron au Domaine Bertrand-Bergé (Paziols)
“Je suis vigneron depuis 1993, d’une famille de vignerons depuis 6 ou 7 générations où le carignan s’est développé après la crise du phylloxera. On a toujours planté ce cépage pour faire de la qualité.
Je l’ai développé sur les terroirs qui me paraissaient intéressants, parce qu’on avait aussi des sols où il n’avait pas sa place. L’implantation idéale, c’est les côteaux, les plateaux que nous avons chez nous en altitude, car il y fait naturellement des rendements qualitatifs entre 35 et 40 hL.
Le carignan sert de base à tous nos assemblages, il apporte de la minéralité, de la fraîcheur, du fruit. Il constitue la charpente du vin, il lui amène de l’acidité, de la fraîcheur, ainsi que le reflet du terroir où il est planté : des notes de garrigue s’il est planté sur des plateaux d’altitude, un joli fruit rouge / fruit noir s’il est planté sur les premiers coteaux.
Le carignan se marie avec le grenache pour apporter de la finesse, et avec la syrah pour développer ses arômes.
Chez nous, le carignan a toujours eu sa place, parce qu’il s’y trouve bien et produit une très belle qualité, puisque c’est lui qui a donné la naissance à la 1re AOC du Languedoc quand il n’y avait quasiment que ce cépage ; en 1948, on ne parlait pas de syrah, de mourvèdre et très peu de grenache. C’est le cépage roi de l’AOC Fitou.
Malgré une mécanisation du vignoble, on essaye de conserver une taille courte et en gobelet un peu allongée pour que, comme le faisaient les Anciens, la végétation protège le raisin des coups de chaud de l’été. Il ne faut pas trop le palisser.
Le carignan fait ressortir la qualité du sol et l’environnement autour des vignes. Il est résistant au stress hydrique et au changement climatique.
Avec les vieilles vignes de carignan, les tanins sont plus ronds et soyeux. Une vigne un peu plus jeune apportera de la fraîcheur et un effet structurant. Notre cuvée Origine est élaborée avec des jeunes carignans, et le vieux carignan est utilisé pour les cuvées Les Mégalithes et Jean Sirven en hommage à un aïeul qui avait reçu une médaille d’or à Paris en 1900.”
Pauline Romera Colomer
“Dans mes vignes, je suis dans mon élément. C’est un endroit rassurant, un héritage familial qui me permet d’avancer chaque jour un peu plus.
Travailler dans cet environnement sain et naturel, avec des paysages différents, c’est un vrai cadeau. Je ne m’en lasse pas, bien au contraire !
Je suis fière de faire ce métier : passionnant, exigeant, tellement plaisant au quotidien. Les métiers de la terre sont dévalorisés depuis quelque temps. Mais je suis convaincue que l’agriculture, dans sa dimension écologique, est l’avenir de notre planète. Après tout, c’est l’agriculteur qui nourrit le monde.”
David Gabinato
Rencontre avec David Gabinato, vigneron au Domaine Gabinato-Fresquet (Tuchan)
“Je suis très attaché au carignan car il est le cépage emblématique de notre terroir, mais pas que. J’y suis aussi attaché car je suis fier de travailler des vignes de carignan qui ont été travaillées avec soin par mon père et mon grand-père.
Certaines d’entre elles sont centenaires et produisent encore des raisins avec un très beau potentiel qualitatif.
Elles témoignent de la parfaite adaptation du carignan à notre climat parfois aride, car c’est un cépage qui apprécie la chaleur, le vent, et une bonne exposition au soleil. D’ailleurs, le Carignan est souvent appelé « bois dur ».
Une robustesse et une résistance à la sécheresse qui sont facilitées par une taille en gobelet qui permet aux feuilles tombantes de protéger la vigne des rayons du soleil.
Pour obtenir la quintessence de ce cépage sensible, et parfois difficile à travailler, il faut le maîtriser par des petits rendements, mais aussi privilégier des vignes situées sur des coteaux.
Les sols aussi ont leur importance, car le carignan s’épanouit plutôt dans des sols argilo-calcaires ou des schistes.
Il mérite également d’être récolté à pleine maturité. J’ai, d’ailleurs, suivi une formation de dégustation des baies pour être certain, au moment des vendanges, de donner du Carignan le meilleur de lui-même.
Sa typicité aromatique est unique, avec des notes d’épices, des arômes de fruits noirs, voire confits. Il donne des vins d’un rouge profond, gourmands, généreux, taillés pour la garde. Des vins puissants, des vins dits « de caractère », des vins de bonhomme. C’est l’une des raisons pour lesquelles j’ai choisi la dénomination Fitou Bonhomme pour les rouges que je produis en AOP Fitou.”
Alban Izard
Rencontre avec Alban Izard, vigneron (Domaine Leyris, Villeneuve-les-Corbières)
“Passionné par la vigne depuis l’enfance, je suis la 8ème génération de la famille sur le domaine. J’ai repris l’exploitation en 2012 avec le désir de la convertir en bio, ce qui est fait aujourd’hui. Je suis sur un terroir de schistes, assez exigeant et rude, mais qui est gratifiant lorsqu’il exprime sa beauté dans nos vins.
Le carignan fait partie de l’ADN de notre domaine et de l’appellation Fitou. C’est le cépage méditerranéen par excellence : il résiste à la sécheresse, au vent, et il produit des récoltes qualitatives malgré un terroir rude. Toutes mes cuvées en contiennent, car il est très complémentaire avec les autres cépages.
C’est un cépage caméléon : on peut en faire ce que l’on veut, selon le vinificateur, l’âge des vignes, son exposition. Il peut amener la structure, la finesse, la fraîcheur, si l’on veut aller sur des vins de garde. Il amène du peps, d’acidité, du fruit, si l’on veut aller sur des vins faciles à boire, des vins de copains.
C’est un cépage qui a traversé les générations. Mes plus vieilles vignes de carignan ont 120 ans, et les plus jeunes ont 5 ans. Quand on le cultive en production modérée et qualitative, qu’il est bien implanté, il ne donne que du bon. Mon grand-père disait “Il n’y a pas de mauvais cépage, il n’y a que des mauvais vignerons”. En fonction du type de sol et de son exposition, ce cépage permet de faire des produits totalement différents, on est sans arrêt dans la découverte avec lui.
Le carignan est étonnant. En ce moment, on traverse une période de sécheresse assez rare, et il est très résilient, il ne souffre pas et donne de très bons produits.
C’est un cépage capricieux, sensible à l’oïdium, il demande de l’attention. Ce n’est pas un cépage passe-partout. C’est un cépage à l’image de la vigne, il demande du temps. Jusqu’à 15 ans, c’est une jeune vigne. C’est notre olivier viticole : les Anciens disaient que quand on plantait un olivier, c’était pour son fils ou son petit-fils, le carignan c’est un peu ça aussi, on le plante aujourd’hui pour la génération d’après, parce qu’il demande du temps, de l’attention.”
Céline Peyre
Rencontre avec Céline Peyre, Domaine Balansa (Villeneuve-les-Corbières).
Vigneronne, c’est un métier très prenant aux journées variées. Sur une semaine, je peux être au bureau, en salon à l’autre bout de la France, à la vigne et à la cave,… C’est un métier qui nécessite une certaine flexibilité et une grande adaptation au climat saisonnier et à la météo du jour !
Romain Vidal
Rencontre avec Romain Vidal, vigneron oenologue (Mas de La Roque à Fitou)
“Je fais du vin depuis 2013. Au tout départ, j’avais une seule parcelle de carignan. C’était un cépage qui avait des difficultés de maturité, car il y a 10 ans on n’était pas dans le même contexte climatique. En 2017, j’ai récupéré une nouvelle parcelle de carignan. Avec le changement climatique, je me suis aperçu que cette parcelle devenait la plus intéressante.
C’est un cépage adapté à la sécheresse, ses serments résistent bien au vent, ce qui est important dans nos régions.
Avec le carignan, on a une production constante, de belle maturité, qui a ce goût fruité et doux, il est essentiel dans nos assemblages.
J’ai une production maîtrisée, car le carignan est intéressant lorsque la production n’est pas trop élevée à l’hectare.
J’ai une cuvée qui s’appelle “Les petits cailloux” qui a obtenu, sur le guide Hachette 2022, un coup de cœur de l’appellation Fitou. Cette cuvée est devenue l’identité du domaine, et cette identité s’est marquée avec une majorité de carignan, alors que par le passé cette cuvée était à majorité grenache.
Grâce au carignan, on arrive à avoir des maturités intéressantes. La maturité pleine du raisin nous permet d’avoir un côté fruité moins alcooleux, des tanins ronds, des vins équilibrés avec un degré maîtrisé. On est passé d’un registre un peu animal, fermé, à quelque chose de fruité, légèrement pierre à fusil sur ces terroirs de schistes.
Ce qui me paraît important, c’est d’avoir une vision tournée vers l’avenir, et le carignan est important, car c’est un cépage qui fait des vins au top.”
Laurent Maynadier
Rencontre avec Laurent Maynadier, vigneron (Champs des Soeurs, Fitou)
« Je suis attaché à l’AOC Fitou et je suis viscéralement attaché au carignan. On est vignerons depuis 10 générations, ce qui nous a donné la culture du vin. Une culture qui se transmet, avec une vision de goûter, de se confronter à d’autres choix pour se forger une expérience.
Le Fitou de nos grands-parents n’a rien à voir avec le Fitou d’aujourd’hui grâce aux connaissances des vignerons. Faire évoluer un vin, imaginer et concevoir un vin, on peut le faire en amont si l’on connaît bien le cépage aux différents stades oenologiques.
Je suis attaché au carignan, car il a une histoire, il est présent dans notre vignoble depuis 150 ans, il a apporté un renouveau à nos vins. C’est un cépage qui a des caractéristiques : la force, le structure, la charge tannique, il a un port érigé droit, une grande densité de ses bois qui le rend moins sensible aux maladies, il a une durée de vie plus longue que d’autres cépages.
Le carignan est essentiel, car il amène l’acidité et la structure de nos vins, il est leur colonne vertébrale. Il apporte de la fraîcheur. Il est étonnant, car on peut le vinifier de plusieurs façons. Ses notes de fruits et son acidité permettent de travailler avec très peu, voire aucun, sulfite. La durée de vie de nos vins se mesure à l’acidité ; grâce au carignan, ils vieillissent mieux. C’est un cépage contemporain.
Le carignan, si on veut le dompter, il ne s’exprimera pas. On l’aide à s’élever, à s’exprimer pour avoir sa pérennité et donner son plein potentiel. Un carignan jeune a des notes de groseille et de fruits, on joue sur des macérations courtes, on lui demande de s’exprimer sur le fruit, sur le côté aérien. Sur des vignes plus âgées, on lui demande la même chose, mais comme il est plus âgé, on aura un résultat plus fin, on aura du cassis, du poivre, des traceurs intéressants qui donnent sa complexité. Pour cela il faut le connaître.
Le carignan est un cépage majeur de l’AOC pour la diversité qu’il nous offre et que l’on retrouve dans les vins. Le carignan permet de personnaliser nos vins en fonction de ce que l’on souhaite. Il est à la fois sensible et robuste, il donne des vins aérés avec de la finesse. Il nous offre une grande diversité d’expressions.
Le carignan peut s’exprimer de manières différentes en reflétant son terroir. Ce carignan, connu pour identifier des vins puissants, peut aussi nous permettre de faire des vins légers.
Ce cépage, par le prisme du vigneron, s’exprime de manières différentes, ce sont des visions complémentaires, c’est vraiment une richesse pour nous. »
Jean-Marc Vallverdu
Rencontre avec Jean-Marc Vallverdu, viticulteur (Cap Leucate)
« Mon arrière-grand-père a été Président de la Coopérative de Leucate. J’ai des racines viticoles des deux côtés de ma famille et l’essentiel de mon exploitation se situe sur le plateau de Leucate, un terroir atypique Enfant, j’ai souvenir des vendanges en famille, d’aller dans les vignes de sable. On partait en famille le matin avec ce qu’il fallait pour petit-déjeuner. Avant midi, l’Ancien ramassait des serments et faisait un feu pour faire griller de la saucisse pour le repas. L’exploitation a grandi, je l’ai reprise avec mon père avant de me consacrer à la mienne. Aujourd’hui, mon fils a pris le relai.
J’ai eu une vie atypique ! J’ai suivi une formation de Sciences de la Vie et de la Terre orientée vers l’hydrogéologie. Suite à ça, j’ai travaillé dans une mairie comme inspecteur d’hygiène. Le déclic, ce fut l’envie de revenir chez moi, à la terre, de redynamiser l’exploitation de mes parents et de monter mon exploitation.
Il faut bosser dur pour gagner sa rémunération, mais on a une belle qualité de vie. L’objectif, c’était de vivre notre métier, mais que notre métier nous permette d’avoir des loisirs et de vivre dignement. Ces inconvénients n’ont pas empêché l’attrait d’un retour à la terre, à la production de vins, à la vie en coopérative qui est une aventure humaine très forte. On s’entraide, la solidarité fonctionne en cas d’aléas. La coopération tire tout le monde vers le haut, on est unis pour le meilleur et pour le pire, comme dans un mariage, on fait des choix démocratiques.
Quand la production tombe bas et que les marchés ont des difficultés, ça déprime. Mais après, quand la même année, pendant la période estivale, on va sur la falaise de Leucate et on explique aux touristes pourquoi on est là et ce qu’on fait, ça redonne du baume au cœur. Le contact et le dialogue avec le client me plaisent. J’aime expliquer qui on est, ce qu’on fait. »
Marion Fontanel-Moyer
Rencontre avec Marion Fontanel-Moyer, vigneronne, Château Les Fenals (Fitou).
“Ici, je suis dans mon élément, parce qu’on crée avec la matière que la nature nous donne. À nous d’en faire ce qu’on peut, avec notre personnalité et notre perception.
C’est une chance d’être là ! On a la mer, on voit le Canigou, on est au bord de l’étang, j’ai tout devant les yeux. Le soleil et la tramontane me donnent l’envie de me bouger !
Si l’on se prend un gel, une grêle, une sécheresse, on ne peut rien faire. C’est à nous de nous adapter à la nature.
Chaque année, on recommence à zéro, on se remet en question, c’est ce qui me plaît. C’est en nous, c’est notre terre.”
Régis Abelanet
Rencontre avec Régis Abelanet, vigneron (Château Abelanet, Fitou)
“Je suis né sur la table de la cuisine à Fitou Village, et j’ai été baptisé l’année de la première cuvée de l’appellation, en 1949 ! Je suis issu d’une famille de Fitounais depuis 1697, je suis la treizième génération, mon petit-fils sera la quinzième.
Fitou c’est mon identité, c’est ma façon de vivre. Le matin quand je me lève, j’ai la vue sur l’étang et le soleil qui se lève sur la mer.
J’ai abandonné mes études de droit pour devenir vigneron. J’étais fêtard, alors quand je me suis retrouvé dans les vignes, ce n’était pas évident ! Mais c’est un choix de vie et de métier que je n’ai jamais regretté. Je cherchais un contact avec la nature, j’avais besoin de voir le Canigou, l’étang et le soleil. Ici, je pouvais respirer. Je suis Fitounais dans l’âme.
Quand j’ai voulu reprendre la propriété, ma mère trouvait ce métier trop dur. Je me suis donné 5 ans, et au bout de 6 mois j’étais convaincu que j’y serais jusqu’à la fin de ma vie. J’ai eu une approche difficile concernant le travail de la vigne et de la vinification. Ce qui m’a sauvé, c’est la phrase de mon père : “Ne fais pas confiance à quelqu’un d’autre pour vendre ton vin”. Le contact avec les clients m’a fait aimer ce travail.
Il y a près de 50 ans, j’ai ouvert un caveau de vente dans le village. Un choix naturel auquel j’avais réfléchi : un client quand ça devient un ami, c’est gagné, à l’inverse d’un négociant. Parler et échanger avec les clients, c’est un vrai moment de bonheur. Le vin m’a permis de me faire des amis partout en Europe, c’est un formidable laissez-passer.
Le terroir est très beau, avec des sols différents qui nous permettent d’adapter les cépages à ces sols propres et sains, donc on a une régularité qualitative. La tramontane peut vous sauver une récolte, le marin peut vous la faire perdre ! L’ensoleillement est intéressant : les années de bonne qualité sont celles de chaleur, car le raisin a besoin de soleil. On n’a pas besoin d’ajouter du sucre pour obtenir des degrés intéressants.
On a évolué en préférant la culture raisonnée, une viticulture sobre en produits, on utilise les essaims de guêpes pour manger les œufs des vers de la grappe.
Mon fils a repris la propriété. Les enfants sont toujours meilleurs que les parents car le monde va en avançant.”
Max Saury
Rencontre avec Max Saury, président des Maîtres Vignerons de Cascastel
“Ici, je suis dans mon élément. Ancré dans ce terroir sauvage où la météo façonne un paysage de roches et de montagne avec des endroits préservés. Je suis heureux d’évoluer dans un vignoble où chaque parcelle a une histoire.
Le travail est différent chaque jour et on doit composer en fonction des éléments ; cela nous évite la monotonie ! Notre terroir est diversifié, il nous permet de ne pas être impacté sur toutes les parcelles par la météo : s’il y a un gros orage, je peux aller travailler sur le schiste.
Je suis en bio par conviction. La réalité nous rattrape, on devrait se poser la question de savoir si le bio n’est pas notre avenir. Une vigne bio bien travaillée produit autant qu’une vigne conventionnelle. Pour cela, la maîtrise de la culture est essentielle. J’ai un îlot où je suis tout seul, 6 hectares, je vois le retour d’une biodiversité qui était partie ; est-ce une coïncidence ? Je ne sais pas !
J’aime la symbiose avec la nature. On a un paysage diversifié, donc un environnement différent selon les jours. Et puis, on est libre ! On peut travailler 15h un jour, rien le jour suivant.
Je suis la quatrième génération de viticulteurs. Enfant, mon grand-père m’amenait à la vigne à dos de cheval. Mon père m’a appris à tailler. Il me disait qu’il fallait bien comprendre la structure du cep et voir son évolution au fil des saisons, tailler la souche en fonction à contre-vent. Ce sont des moments qu’on garde en soi.
Mon père avait une boucherie qui l’occupait une bonne partie de la journée. Il partait ensuite à la vigne. Je me rappelle qu’il labourait avec le tracteur à chenilles et on finissait avec les phares. J’avais de l’admiration pour lui car il s’impliquait pour faire bouillir la marmite. Il était content que je prenne la relève. L’attachement à la terre se transmet de génération en génération.
La cave coopérative a permis à beaucoup de vignerons de conserver les exploitations. Chacun apporte la totalité de ses récoltes à la cave ; cela permet de créer des îlots de parcelles sélectionnées afin d’optimiser la qualité.Dans notre métier, il faut du tempérament. Celui de garder confiance en l’année suivante quand la récolte a été ravagée par une grêle ou par une période de gel, et nous laisse sans revenu. On se dit alors qu’il y aura des jours meilleurs !”
Valérie Guérin
Rencontre avec Valérie Guérin, vigneronne, Les Mille Vignes (La Palme).
“Dans mes petits jardins de vigne, je suis dans mon élément, car je vois les étangs, la lagune, et, derrière, la mer. Si je me tourne, je vois les Corbières et les Pyrénées. Si je me baisse, je vois la terre, et je sens la poussière.
Dans cet environnement séduisant, mon travail est d’aller chercher de la fraîcheur dans mes vins. Être vigneron, c’est être un grand jardinier. Sur 11 hectares, j’ai 13 jardins que je bichonne. Je cultive le rare : des cépages adaptés au soleil. Mon encépagement a plus de 75 ans, il est en pleine santé !
Je donne des vins élevés avec patience, qui, même jeunes, se goûtent bien, car j’ai su prendre le temps de jardiner, d’élever, de vinifier, de transmettre.
Je suis en création continue. Si l’on ne crée pas, on régresse. J’ai une pensée toujours en mouvement dans cet environnement idyllique.”
Christophe Pla
Rencontre avec Christophe Pla, viticulteur à Paziols.
“Ici, c’est mon terroir, mes racines.
Enfant, j’accompagnais mon grand-père sur l’exploitation, j’ai appris à conduire avec lui sur les chemins de vignes. J’ai connu les discussions pendant les repas sur la saisonnalité et la dureté du labeur.
C’est un beau métier, c’est pour ça qu’on continue à le faire.
Un métier où l’on évolue avec le temps, avec la nature, et c’est bien car on se remet en question tous les jours, on cherche de nouvelles méthodes, on s’adapte.
On est aussi résilients que les plantes qu’on cultive. Il faut du courage pour aller tailler au mois de février, quand le vent fouette le visage, ou l’été quand le soleil brûle. Sans savoir si derrière on va pouvoir se verser un salaire et couvrir les frais de l’exploitation.
La nature est riche, forte, et rude aussi. On veut faire de notre mieux, mais la nature a horreur du vide, elle nous donne des leçons, il faut faire avec. Elle m’a appris que je suis ce que je fais. Elle m’a appris l’humilité. Elle m’a appris à me relever. Comme une souche gelée, on repousse l’année d’après. J’ai appris à faire face, et la solidarité est essentielle pour nous aider quand on en a besoin.
Lever le pied est impossible, car les réalités économiques nous en empêchent, mais j’ai appris à profiter de l’instant, à stopper le camion pour prendre une photo, à profiter des paysages et de la vue à 360° sans aucune pollution visuelle.”
Damien Martinez
Rencontre avec Damien Martinez, Domaine du Cigalet (Villeneuve-les-Corbières).
“Ici, je suis dans mon élément, parce que c’est un bonheur de pouvoir prendre le temps de contempler le paysage, de travailler en harmonie avec la nature, de partager nos vins. C’est un peu vallonné, on a des points de vue différents selon les parcelles.
Au quotidien, je prends plaisir à aller observer les vignes, admirer la nature, préserver l’héritage de mes ancêtres. Au moins 6 générations de ma famille sont vignerons dans le village de Villeneuve. Je suis fier de perpétuer cet héritage.
Le terroir est rustique, mais il nous protège aussi. On a très peu de pluie, du vent, du soleil, donc on a naturellement des parcelles saines. C’est le premier traitement contre les maladies. La culture en gobelet de nos ancêtres s’adapte au soleil, et le vent assainit la souche.
On ne contrôle pas la nature, on la laisse s’exprimer, on travaille en harmonie avec elle. Jamais je n’ai de découragement. On subit les aléas comme un événement, pas comme une fatalité. La Nature nous donne tellement en positif.”